L’ubérisation de la santé est un processus en marche, qui sera difficile à arrêter. En revanche, celle-ci ne sera pas aussi simple à mettre en place que dans d’autres domaines d’activités. La question des compétences des médecins et de la confiance qu’ont les patients en eux est un élément essentiel, qui ne peut pas être résolu complètement par une ubérisation du secteur. En revanche, il y a des possibilités de gestion de la clientèle et d’introduction de robots pour les premiers diagnostics. Telle est la conviction de Grégoire Leclercq, co-fondateur de l’Observatoire de l’ubérisation. Ce dernier s’exprimait lors du dernier Meet-up de santé digitale, organisée à Genève par Swiss Digital Health et les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Selon les définitions « officielles », ubériser, c’est avant tout déstabiliser une branche économique et la transformer avec des nouvelles technologies. « On ne sait pas encore dire avec certitude si c’est une mode ou un phénomène de fond, et si c’est une révolution industrielle », souligne Grégoire Leclercq. Une chose est sûre : le phénomène est rapide et violent, au niveau de l’effet sur la population et les usages.
« Le marché de l’ubérisation va se développer de 35% par an durant 10 ans. La population a une forte appétence pour ce modèle », prédit Grégoire Leclercq. Dans les services, tout semble ubérisable : pompes funèbres, sécurité… Il n’y a pas de limite, à partir du moment où il n’y a pas de trop gros outils de production.
L’ubérisation propose une transformation de la chaîne de valeur traditionnelle. Au lieu d’avoir une chaîne linéaire qui va du producteur au client, elle crée un intermédiaire (plateforme de marché) qui agrège la demande par les deux bouts (les clients et les offreurs), avec une expérience utilisateur meilleure qu’avant.
Un Booking.com de la santé ?
« Le premier ubérisateur fut Booking.com. Son modèle pourrait d’ailleurs très bien s’adapter aux médecins de ville », selon Grégoire Leclercq. Booking a mis le doigt sur les 20 à 30% de surcapacité dans les hôtels parisiens. Elle a ensuite créé une plateforme intégrée (avec avis, photos, prix, disponibilité, géolocalisation), qui propose une « magnifique expérience de consommation ». A grand renfort de publicité (5,9 milliards de dollars investis chaque année sur Google !), Booking est devenu la marque de référence, avec, comme effet secondaire, que les hôteliers sont devenus des sous-traitants de Booking, qui fixe les prix. « C’est ce qui pourrait arriver avec les médecins, qui pourraient devoir baisser le prix de leurs consultations en fonction de la période, par exemple ».
Mais l’ubérisation de la santé n’est pas aussi simple. Le cœur de métier, à savoir remplacer des médecins par des particuliers qui vont soigner les gens, n’est tout simplement pas possible. Cela a été possible pour les chauffeurs de taxis, mais pas pour les médecins. En revanche, mettre en place une intermédiation, qui irait chercher les clients pour les médecins, comme le fait Booking, c’est plus réaliste. Il est également possible, dans la limite des lois actuellement en vigueur, de développer la notation des prestations, et donc de générer une meilleure compréhension de ce qui est fait dans le domaine médical.
Règlementation pas favorable
Grégoire Leclercq prend l’exemple de SOS Médecins, un service qui existe également en Suisse. « L’attente client est forte, puisque l’on ne sait pas où ni quand un médecin va arriver ». Techniquement, il est facile de géolocaliser un médecin et une plateforme internet peut être facilement mise en oeuvre. Au niveau de la notation, c’est plus délicat. « En France, la notation d’un médecin est interdite ».
Mais il y a des freins à l’ubérisation de la santé. Parmi eux, la règlementation, qui n’est pas favorable. « Le modèle à la sécurité sociale française ne rend pas cela possible, notamment au niveau des paiements des prestations de santé ».
L’arrivée des robots ?
On pourrait aussi s’orienter vers un système avec des robots advisors, qui commencent à être capables d’orienter vers un pré-diagnostic. « Cela se fait relativement bien pour les testaments, et cela peut être très intéressant pour la santé, surtout avec tous les objets connectés que nous avons sur nous (pouls, température…). Si l’on met tout cela sur une plateforme avec des médecins de ville, qui peuvent prendre une consultation dans la foulée, on a révolutionné le système ».
Reste toutefois à faire attention à l’accès aux médicaments : qui fait l’ordonnance ? Est-ce que le robot est responsable d’une fausse ordonnance ? Et derrière tout cela se pose encore la question de la confiance. « Dans le domaine de la santé, celle-ci n’est pas encore aussi mûre que pour le choix d’une voiture, d’un déménageur ou d’une baby-sitter ».
Selon Grégoire Leclercq, les premiers résultats concrets d’une ubérisation de la santé pourraient arriver d’ici à 2022.
Propos recueillis le 4 mai 2017, à l’occasion du Meet-up organisé par Swiss Digital Health et les HUG