Alors que le monde entier se trouve actuellement à l’arrêt, la demande en cyber santé explose. Les solutions numériques passent rapidement d’une phase d’adoption prudente à une diffusion virale et s’ancrent doucement dans nos habitudes de santé. La propension aux technologies issues de la Silicon Valley est forte. Comment nos gouvernements se positionnent-ils face aux arguments indéniables de la Big Tech pour gérer cette crise sanitaire ? C’est ce que nous allons aborder ici.
À l’ère du coronavirus, les entreprises technologiques jouent un rôle crucial dans la façon dont les gouvernements du monde entier réagissent à la crise. La Big Tech est devenue en quelque sorte le service public du 21e siècle.
Pour exemple, selon le Financial Times, le gouvernement britannique aurait demandé à Amazon de l’aider à se fournir en matériel médical d’urgence par le biais de son réseau logistique national. Si ce type de demande peut sembler anecdotique aux Etats-Unis, en dépit de stratégies pour éviter l’impôt, ce n’est pas le cas en Grande-Bretagne.
Du côté des services de santé, la pression est d’autant plus forte. En effet, les principales autorités sanitaires, telles que les CDC et l’Organisation mondiale de la Santé, enjoignent à trouver des moyens pour minimiser les contacts physiques entre les patients et les fournisseurs de soins de santé, en utilisant les nouvelles technologies. Le professeur Schwamm de la Faculté de médecine de Harvard estime que la télésanté peut en effet contribuer à ralentir les infections et à aplatir la courbe épidémique actuelle.
De plus, la nécessité d’un suivi rapide des personnes infectées (et de leurs contacts) s’intensifie au fur et à mesure de la propagation du COVID-19. Experte incontestée de la collecte de données, la Big Tech sort ici son épingle du jeu. Les informations de santé fournies par la “foule” (crowdsourced) deviennent le nerf de la guerre de cette pandémie. Que les données soient automatiquement récoltées par des sondages en ligne, via des applications pour smartphones, des assistants virtuels, des capteurs portables, ou encore par des sources d’information passives – ce qui est le cas avec les données des médias sociaux accessibles au public (p. ex. tweets) – , tout un chacun contribue activement à cette collecte en ligne pour le compte des géants de la technologie.
Des alliances inédites voient le jour
Augmentant encore un peu plus la toute-puissance de la Big Tech sur le marché des données de santé, la pandémie a vu naître nombre de nouveaux projets issus de ces multinationales, pour lutter contre COVID-19.
Rivaux de toujours, Apple et Google représentent à eux seuls 99,9% des smartphones vendus dans le monde. Début avril, l’annonce de leur alliance pour lutter contre le coronavirus grâce à un échange de données au cœur de leur système (contact tracing), interpelle. Leur technologie ne serait pas compatible avec des systèmes (API) mis en place par certains gouvernements comme la Suisse, ainsi qu’un risque important pour les données personnelles des utilisateurs. si elles tombent en main de ces géants.
Le projet entre la start-up ImmunityBio et le géant américain Microsoft Azure a lui déjà eu une utilité bien tangible pour les chercheurs dans leur course contre la montre contre le coronavirus : un gain de temps ! Grâce à leurs efforts conjoints, ils ont été en mesure d’atteindre, en quelques jours, une étape cruciale pour développer des protéines permettant d’arrêter l’infection.
L’Organisation mondiale de la Santé fait également appel aux ressources des géants de la technologie, elle les a mobilisés en mars pour un hackathon. L’occasion pour les développeurs de construire des solutions logicielles qui ont un impact social, dans le but de relever certains des défis liés à la pandémie actuelle de coronavirus ( #BuildForCOVID19). La participation de Facebook, Microsoft et plusieurs autres entreprises technologiques a représenté 18’926 participants, issus de plus de 175 pays et 6’400 projets déposés !
Pour la diffusion d’information, c’est vers les plateformes de réseaux sociaux que l’Organisation mondiale de la Santé s’est tournée. WhatsApp a été choisi pour créer une ligne d’information dédiée à la pandémie. Même le Premier ministre italien, Giuseppe Conte, ne s’est pas tourné vers la chaîne nationale du pays pour s’adresser à la nation sur les dernières mesures visant à arrêter la propagation du COVID-19. Il l’a diffusé en direct sur Facebook !
En plus de leurs ressources technologiques et humaines, les moyens financiers de la Big Tech sont aussi sollicités pendant la crise. Amazon Web Services a mis sur pied un programme, dont l’investissement initial est de 20 millions de dollars, pour soutenir la recherche pour le développement de diagnostics rapides. « Les organisations qui travaillent sur le diagnostic ont besoin d’une puissance de calcul fiable et évolutive, que nous pouvons leur fournir avec des services de pointe comme l’analytique et l’apprentissage automatique, afin qu’elles puissent traiter et analyser de grands ensembles de données et itérer rapidement », a écrit Teresa Carlson, vice-présidente des activités du secteur public mondial d’AWS, dans un billet de blog.
En Suisse, des garde-fous se dressent
Lors de la séance du 16 avril 2020, le Conseil fédéral a décidé de faire examiner en détail la nécessité, la conception, l’utilité et la faisabilité d’un cloud informatique suisse («Swiss Cloud») avec le concours des cantons et de spécialistes des milieux économiques et scientifiques. Il a demandé à être informé des résultats d’ici à la fin du mois de juin 2021.
C’est dans un tweet que Laurent Sciboz, directeur de l’Institut informatique de gestion de la HES-So et membre du comité de sélection de la Fondation the Ark, réagit:
Pour éviter la dépendance à la Big Tech, de nombreux projets suisses, pour certains menés de concert avec les hautes écoles, n’ont pas attendu la fin du déconfinement pour voir le jour et réveiller chez les Helvètes des aspirations d’entrepreneurs. De plus comme le stipule le préposé fédéral à la protection des données dans un article du journal ICT : les principes de protection des données, déjà très stricts en Suisse, sont énoncés dans la LPD et restent valident durant la pandémie.
Un retour de bâtons est-il à prévoir pour la Big Tech ?
Selon Mark Scott, correspondant en chef de la technologie au site POLITICO : “Les entreprises technologiques ont remis aux organismes de réglementation l’arme parfaite dans leur initiative pour réglementer ces plateformes : des exemples clairs de la façon dont l’industrie pourrait se faire la police.” Il est alors probable que lorsque la crise mondiale actuelle se calmera, les régulateurs de Bruxelles, Washington et d’ailleurs commenceront à poser des questions à la Big Tech sur les raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas prendre des mesures similaires pour réguler les quantités massives de contenu en ligne. Facebook vient par exemple de recevoir une amende record de 5 milliard de dollars pour avoir , selon le journal Le Monde , “ trompé ses utilisateurs sur leur capacité à contrôler leurs informations personnelles“. Affaire à suivre donc !
A voir aussi : Dans un précédent article, nous avons fait le point sur la mobilisation sans précédent de la Big Tech durant la crise sanitaire actuelle. Les géants de la technologie sont-ils le service public du 21e siècle ? Ou leur altruisme soudain laisse présager un double agenda ? Éclairage sur cette mobilisation sans précédent.